• Forteresse

     

     

     

    Un jour, j'ai rencontré un château fort. Il avait des murailles hautes comme des séquoias et épaisses comme le cou d'un taureau de concours. Sur le chemin de ronde perdu dans les hauteurs, une triple rangée de gardes armés jusqu'aux dents allait et venait inlassablement. La relève arrivait sans un bruit, et tous glissaient comme les pantins articulés d'un ballet d'opérette jusqu'à leur nouvelle position. Leurs armures luisaient d'un éclat malsain toute la journée, et la nuit, éclairaient  les ombres d'une lueur sépulcrale.

    J'ai traversé le pont levis obligeamment abaissé pour moi, et me suis présentée devant la herse close. J'ai palabré un long moment avec le planton de service, en vain. Il avait reçu de sévères consignes, et aucun des mots de passe que j'aurais pu lui fournir n'aurait convenu. Tel était le mot d'ordre. J'ai pensé à m'énerver, mais cela n'aurait fait que renforcer le mécanisme implacable de rejet.

    J'aurais tant voulu entrer dans ce bunker pour la rencontrer. J'avais entendu ses pleurs irréels à travers mes songes. Ils avaient traversé l'éther et m'avaient bouleversée car jamais je n'aurais pensé qu'une telle détresse puisse exister en ce lieu. Ils appartenaient à cette toute petite fille qui grelottait au fond de son cachot humide, terrée au plus profond de cette forteresse inexpugnable qu'elle avait bâtie avec des forces de plus en plus maigres.

    Je voyais ses yeux en fermant les miens, des astres immenses qui lui mangeaient le visage comme la maladie qui lui grignotait le reste. De son pauvre corps qui s'en allait en lambeaux ne restait que la forme exquise de ses os dont les reliefs  étiraient sa peau translucide comme une tente, ultime rempart entre elle et le monde extérieur. Bientôt, elle s'évaporerait comme elle l'avait toujours souhaité, depuis ce jour où on lui avait fait comprendre qu'elle n'était rien d'autre qu'un fardeau de plus dans la vie des autres.

    J'ai cherché la clef qui ouvrirait le verrou principal, celui qui ferait sauter les autres en série, mais le trousseau était trop chargé, et quand j'ai enfin trouvé la bonne, il était trop tard, elle s'était évaporée hors de ma portée. Son regard m'a longtemps hantée, ces grands yeux gris bleu de chat effarouché que rien ne pouvait apprivoiser. A chaque fois que je croise un tel regard, je ne peux m'empêcher de penser à ce que je pourrais dire au garde en faction pour l'amadouer, lui qui persiste à me dire que tout va bien, que tout est sous contrôle. N'a-t-il donc pas d'oreilles pour entendre les cris déchirants de l'insondable détresse de sa maîtresse? Et toujours, encore, hélas, je trifouille dans mon trousseau sans arriver à rien...

     

    Photo: Efelo Dream Factory 


    Tags Tags : , , , ,
  • Commentaires

    1
    Samedi 5 Mai 2012 à 14:47

    Bonjour,

    Je suis tombé sur cette information.

    http://lefenetrou.blogspot.fr/2012/05/le-secret-de-lenfant-fourmi-le-film-et.html

    J'ai pensé à ma mère sage-femme et à toi médecin. Et j'ai pensé aux frontières et aux forteresses des civilisations.

    Salut et fraternité

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :