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    Attendre, ou pas?

     

    Attendre quelque chose, c'est courir le risque d'être déçu. La réalité des faits correspond rarement à l'étoffe des fantasmes. Tout au plus a-t-elle une trame qui correspond un peu, mais la vie a brodé un tout autre motif que celui qu'on avait en tête. Un peu comme si on se retrouvait avec une robe de bure après avoir rêvé d'un déshabillé en soie.

    Ne rien attendre, c'est laisser un portillon ouvert à tous les possibles. On est en stase entre ici et quelque part ailleurs, plus loin. Parfois trop loin. Celui qui n'attend rien avance sans mouvement, il glisse sur la peau de sa vie avec délicatesse, pour ne pas la rider. Il est une goutte d'eau qui voyage  sur une vitre inclinée, sans s'y accrocher, sans laisser de trace. Il arrive en bas, intact, sans avoir perdu de matière, ou si peu.

    Mais attendre, c'est se sentir vivant, même dans l'angoisse de l'inconnu. C'est se reconnecter à ce corps que l'on oublie parfois un peu, beaucoup, passionnément. Avoir une boule quelque part, une chaleur subite, une humidité dans le regard, le palpitant en alerte. Mettre en branle toute une machinerie infernale tout en dedans  qu'aucun scientifique ne pourra jamais mettre en équation.

    Et ne rien attendre... Laisser filer le chapelet d'instants uniques et pourtant toujours semblables les uns aux autres. Ne pas s'attacher, couler, s'évanouir dans le néant, disparaître. Et soudain, se heurter à l'inattendu de plein fouet et se mettre à l'escalader, plus haut, toujours plus haut. Devenir un alpiniste des hauts sommets de la surprise. Naître, tout simplement.

    Entre les deux, mon coeur s'en balance...

     

    Photo: Efelo Dream Factory


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    La femme puzzle

     

    Cela fait longtemps que tu t'y colles, que tu peaufines les coins, puis les bordures, pour lui donner un cadre où tu penses qu'elle s'épanouira. Tu as cherché longtemps les pièces de même couleur, tu les as mises en tas dans un coin pour ne pas les perdre à nouveau parmi les autres. Celles couleur de chair, les plus douces à caresser; celles couleur de larmes, au goût trop salé; celles couleur de colère, à ignorer et à jeter pour les remplacer par celles couleur de soumission, ta couleur préférée, qui noie toutes les autres dans le gris uniforme de la tristesse.

    Tu as continué le travail, morceau après morceau, avec la méticulosité qui te caractérise si bien. Tu as rassemblé les éléments des bras, puis de la tête, et des jambes. Elle apparaissait enfin devant toi, nue sous tes doigts tremblants, malgré les espaces encore vierges entre les parcelles de son corps. Tu suivais la courbe d'un sein, l'ovale du visage, la douceur de sa chevelure. Elle, sans broncher, se laissait faire, déjà vaincue, encore partielle.

    Et enfin, un jour, ce fut terminé. Elle était là, devant toi, presque entière. Il n'y avait que ces fissures, ces presque riens de vide entre les bouts d'elle-même. Des traits en creux, des rayures sur sa vie que tu avais si soigneusement découpée au cutter quand elle était entrée dans la tienne. Confiante, elle s'était laissée guider à petits pas vers le précipice que tu lui destinais. Pas tout de suite, pas encore. Juste un pas après l'autre pour ne pas l'effaroucher, pour qu'elle ne fasse pas demi-tour. A chaque fois, tu lui coupais un petit bout de son esprit, tu le mettais dans une boîte hermétique et tu secouais bien fort pour tout mélanger, des fois qu'elle se rappellerait qui elle est avant l'acte final. Quand elle ne fut plus que fragments, tu ouvris la boîte et tu commenças à la remonter, pièce par pièce, mais à ta façon. Elle n'existait déjà plus que dans ton souvenir, mais elle ferait une si belle décoration sur le mur du salon...

    La femme morcelée, découpée, mutilée, écartelée. La femme recollée, bricolée, rafistolée, rapiécée. A-t-elle réussi à le tenir, son fil d'Ariane, sa ligne de vie? Pourra-t-elle se retricoter un cocon, un havre de paix où elle pourra se reconstruire peu à peu? Ou l'as-tu lacérée jusqu'à la moelle sans espoir de retour?

    La femme puzzle...

     

    Photo: Efelo Dream Factory


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    Une cabane

     

    Une cabane au bord du ciel, au bord de l'eau. Un havre de paix où le temps est suspendu au filet du pêcheur. Quatre planches, un banc sans doute, et les jambes qui se balancent dans le vide au-dessus des flots azurés. Les embruns, aussi, qui viennent fouetter en rafale un visage peut-être tanné par le sel. Quelques bouffées d'air iodé aux senteurs de varech. La brise marine, mutine, vient saluer les cheveux et les emmêler de son sourire tourbillonnant. Et là, tout en bas, le flux et le reflux, le claquement des vagues contre la falaise qui, sans rien dire, se laisse émietter toujours un peu plus. Saupoudrage des fonds marins... Les ammonites du crétacé reviennent à la lumière un court instant avant de sombrer un peu plus loin pour toujours.  Les cerceaux s'inclinent, il est temps d'actionner le treuil. Le carrelet surgit de l'eau, lesté de ses proies du jour. Crabes, anguilles et mulets sont rassemblés pour leur dernier voyage. La pêche est bonne, l'attente a été fructueuse, pour une fois. La première fois...

     

    Photo: Efelo Dream Factory


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    Les petits riens

     

    C'est tout bête, un petit rien. Cela a l'air si inoffensif, si fragile, si anecdotique! On ne s'en méfie pas, on lui ferait même plutôt confiance. On lui raconte des petits bouts de vie, comme ça, l'air de rien. Et de fil en aiguille, on se construit un joli collier en perles de pas grand chose. Il n'est pas très décoratif, mais on le porte avec coquetterie quand même, il faut bien qu'il serve ...

    Il y a aussi des riens qui veulent parler, parce qu'ils en ont ras le bol qu'on leur serine  à tout bout de champ qu'ils ne veulent rien dire du tout. Vaut rien, tais-toi! Alors ils s'expriment à grands coups de néant, battant l'air à vide de leurs petits bras aux muscles atrophiés. Ils brassent, ils brassent tellement qu'ils fabriquent une mousse aérienne, légère comme une plume et inutile comme un camion sous l'eau. Finalement, ils se taisent, car ils ont enfin compris qu'ils parlent vraiment pour ne rien dire.

    Et puis il y a les grands riens, dignes apôtres de la bonne parole. Ils délirent au front de foules amassées devant eux et qui, telles des buvards, se repaissent de leur prose sans y opposer de barrière. Elles se laissent envahir par la sournoise capillarité, s'alourdissent de bêtise et s'affalent au sol quand elles  tentent d'échapper au piège dans lequel elles se sont fait complaisamment happer. Ah! Mollesse étrange d'une telle évasion, à la lenteur démesurée et à l'impavide langueur!

    Alors, entre nous, puisque petits ou grands riens restent bien peu de chose, il reste à choisir simplement entre tout ou rien. Mon choix est fait. Et le vôtre?

     


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    Tiré à quatre épingles

     

    Non, il ne s'agira pas d'établir ici une notice détaillée de la dernière tenue de Lady G., ou du déroulement du défilé automne-hiver 2012 de JPG. D'abord parce que je n'ai rigoureusement aucune idée de la période où celui-ci est sensé avoir lieu, et aussi en raison de ma piètre aptitude à me tenir au courant en matière de mode. Mon credo, c'est plutôt de laisser filer les années sur mes vêtements, toujours les mêmes, et de temps en temps, avoir la surprise d'attraper une tendance et avoir l'illusion -temporaire- d'être dans le ton. Pour une fois. La mode, façon décennale. Furieusement has been mais foutrement économique.

    J'avais plutôt envie de décortiquer l'expression au sens littéral et brutalement terre à terre. Imaginons un corps étendu, peut-être dans son lit, un matin, à l'aube. Les premiers rayons du soleil tentent déjà de forcer le mince espace entre les persiennes, ce qui a pour effet de faire soupirer l'être encore passablement assoupi. Tsssss... Il ouvre les yeux en forçant ses paupières à se décoller l'une de l'autre, à gauche, puis à droite. Prudent, l'individu. Des fois qu'il y laisserait un oeil. Immobile, il attend que les derniers frissons du sommeil s'évaporent, et envoie une injonction à son cerveau pour que celui-ci programme le premier mouvement du jour, celui du bras gauche. Impossible. Une vrille subite se met à le lanciner dans la main, au niveau du petit doigt. Un peu calmé, il tente alors de solliciter sa fesse droite, juste une petite contraction, histoire de se rappeler qu'il a des muscles à cet endroit aussi. En vain. Cette fois, il a l'impression d'avoir une batterie d'étaux en action, lui broyant le bas du dos sans rémission. Et quand, en désespoir de cause, il essaie de soulever ses épaules, il s'aperçoit qu'elles ont été lestées de plusieurs tonnes pendant la nuit. Il doit se rendre à l'évidence: il est cloué au lit,  tiré à quatre épingles par la douleur, qui les a judicieusement placées aux points stratégiques.

    Il arrive néanmoins à se lever et les arrache d'un geste rageur, les envoyant promener un peu plus loin. Il titube, souffrance au poing, et s'habille avec lenteur. Avec les mêmes vêtements qu'il y a dix ans.

     

    Illustration attrapée ici.


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