• Résurgence

     

    Le temps passe si vite... A force d'enchaîner les instants présents, on s'aperçoit au bout d'un moment qu'on a une pile de passé à trier. Et passer son temps à trier le passé, cela donne une étrange perspective au présent. Une vague impression d'être un marcheur immobile suspendu entre deux instants. Fragile suspension en équilibre précaire qu'un souffle peut précipiter d'un côté ou de l'autre.

    Doit-on d'ailleurs absolument revivre ce qui a été, au risque de ne plus profiter de ce qui s'offre à nous, là, maintenant, tout de suite? Certains prennent le parti inverse, en se projetant dans le futur, qu'il soit anticipé de façon positive, ou, au contraire, comme le réceptacle de toutes les angoisses du présent, pour les mettre à distance. Quitte à se faire rattraper par elles plus tard. C'est obligé.

    Que nous soyons englués dans les affres de notre passé, ou paralysés par l'incertitude de l'avenir, le résultat est le même. Nous sommes immobilisés dans une toile d'araignée géante construite par nous-mêmes. Reste à savoir si les arachnophobes s'en sortent mieux que les autres. Pas sûr.

    Il faut donc respirer à pleins poumons l'air du temps présent, le laisser grimper jusqu'au cerveau pour dépoussiérer un peu le grenier à souvenirs, car il n'y a rien de pire qu'un souvenir poussiéreux: ça fait éternuer. Quand on éternue, on ferme les yeux. Et quand on ferme les yeux, on ne voit rien. On en garde alors la sensation d'une chose désagréable. Il est donc important de faire le ménage de temps en temps sous peine de développer une allergie au passé. Prendre soin de ce qui a été pour pouvoir le regarder sereinement, quand on en a envie. Et pas parce qu'il le faut, sous peine d'être taxé d'insensible.

    Certains souvenirs ne sont pas beaux, même une fois nettoyés. Ils absorbent la lumière et aspirent l'énergie dans un gouffre sans fond. Un peu comme des trous noirs. Ils grognent et  montrent des dents  quand on fait mine de les approcher pour les amadouer. Doit-on les abandonner, les laisser retourner à l'état sauvage, au risque qu'ils déchiquettent tout sur leur passage, ou tenter de les apprivoiser pour les calmer? La réponse est propre à chacun. L'absolu n'existe pas. Mais je dois avoir quelque part l'adresse d'un fabricant de niches hors pair...

     

    Photo: The host, Efelo Dream Factory.


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  • Ta da!

     

    Hier, j'ai eu l'impression bizarre d'avoir basculé dans une autre dimension, alors que je cheminais à la lisière d'un fossé en bord de champ. Les herbes folles étaient déjà sèches et éparpillaient leurs promesses de vie aux quatre vents. Le bruissement de leurs longues feuilles jaunies accompagnait gaiement criquets et grillons tapis alentour. Rien que de très ordinaire pour un début de mois de juillet, donc.

    Mais il y a seulement quatre petits jours, je me pelotonnais encore dans ma veste d'hiver, frissonnant délicieusement, les bras serrés contre mon corps. J'aspirais goulûment les derniers souffles de l'automne-hiver si long cette année, tout en appelant hypocritement de mes voeux un peu plus de chaleur. Mes promenades guidaient mes pas vers des sentiers où la terre alourdie faisait le lit d'une végétation luxuriante et encore bien verte.

    Quatre petits jours ont donc suffi pour faire exploser le cycle des graminées, les faisant passer de la vie à ce trépas fertilisant. L'absence de transition m'a fait évoquer ce décalage dans un espace-temps différent, me projetant dans cet univers parallèle et pourtant si proche de l'original. Voyager sans mouvement, voilà un credo digne d'attention...

    Photo: Efelo dream Factory


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  • Esprit, es-tu là?

     

    C'est marrant, un blog. On se dit qu'on va y écrire de temps en temps, comme ça, en passant, sans obligation. Et puis les jours se succèdent, riches et bien remplis de ce qu'on appelle la vie, avec ses moments de joie, de tristesse, d'ennui. Cet empilement de moments vous occupe à plein temps, jusqu'au jour où une messagerie électronique déshumanisée vous rappelle à l'ordre, en murmurant de sa voix inaudible que cela fait bien longtemps que vous n'avez rien commis et que la plateforme s'ennuie sans vous...

    C'est gentil, ça. Quelqu'un a pensé à moi! Ou plutôt quelque chose. Un robot a pensé à moi. Non, pas pensé. Trop anthropomorphique, ça. Quelque part, une procédure automatique a été enclenchée par l'absence d'activité ici. Rien de chaud, de tangible, de doux, de tendre. Juste une histoire de transistors et d'électrons (que les scientifiques pur jus me pardonnent, le ghost in the shell est pour moi un mirage absolu): 0, ça passe pas; 1, ça passe.

    Du coup, je me retrouve devant une page que j'ai bien envie de remplir. C'est fait pour ça, le blanc. Pour être noirci. Et du coup, mon objectif premier, qui était de venir zoner dans le coin suivant mes envies, sans obligation, se transforme en to do list bien moins spontanée. Je me demande si la machine m'en saura gré. Comment ça marche, la reconnaissance, quand on l'écrit en 0 et en 1? Y-a-t-il un dictionnaire humain/machine chez vous? Parce que chez moi, là, il y a surtout un rayon de soleil qui me taquine le coin de l'oeil et que j'aurais bien envie d'attraper, de peur qu'il ne file rejoindre ses compères aux antipodes...


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  • Le jour où j'ai arrêté de fantasmer le monde...

     

    Il fut un temps où le regard des autres m'importait tellement que je le chargeais de toutes sortes de significations plus ou moins erronées, quasi mystiques parfois. Je ne pouvais pas soutenir le moindre battement de cils en ma direction sans imaginer le pourquoi du comment, de façon totalement irrationnelle. Si cette femme là-bas venait de me jeter un coup d'oeil, c'était à cause de ma coiffure, ou de ma tenue forcément mal ajustée ou complètement has been. Cet homme qui venait de me frôler par inadvertance était sans nul doute un amoureux transi qui n'avouerait jamais ses sentiments autrement que sous la torture, et encore. Du coup, je n'osais jamais attarder mon regard sur qui que ce soit, sous peine de perdre mes moyens.

    Et puis un jour, je me suis aperçue de la vanité de ces pensées. Mes fantasmes sonnaient si creux que leur résonance a ébranlé mes certitudes et les a fait s'effondrer dans le silence assourdissant de leur vacuité. Les yeux de mes contemporains ne me renvoyaient plus que de l'absence et de l'indifférence. Triste et brutal retour sur terre... J'ai appris que les regards ne se croisaient que rarement, suivant des trajectoires presque parallèles dont l'horizon se perdait par dessus une épaule ou juste derrière une oreille. Ce genre de regard qui vous transperce de part en part en vous arrachant un lambeau de vous-même au passage, avant de le jeter négligemment sur le bas côté comme on se débarrasserait d'un papier gras.

    Mon regard est devenu imperméabilisant, glissant sur les choses et les êtres avec une nonchalance affectée. Il a fini d'interpréter le monde à l'aune de ses fantasmes pour se retrouver perdu de l'autre côté de la barrière, abandonné dans le non sens d'une vie sans relief. Les gens sont devenus des fantômes sans corps ni âme, juste des objets qui passent de temps à autre dans mon champ visuel comme de la pluie ou un vent léger. Leur substance m'échappe un peu plus chaque jour et les renvoie dans l'éther d'où mes pensées n'iront pas les chercher. Il arrive heureusement qu'une étincelle ravive la flamme quand mon regard croise celui de ceux que j'aime, qu'ils soient proches ou presque inconnus, au hasard des rencontres qui me disent et me redisent que malgré tout cela, je reste vivante...

     

    Photo: extrait de "Train de nuit pour Lisbonne", d'après le roman de Pascal Mercier


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  • Vital air, ou vite, à l'air?

     

    L'air que l'on respire est de plus en plus étrange. Il transporte de multiples particules invisibles à l'oeil nu, mais non dénuées d'effets sur nous. Nos pauvres organismes n'arrivent plus à traiter ce flot continu d'informations discordantes et disjonctent d'un coup. Les pollens arrivent en rangs serrés et se faufilent dans des narines trop grandes ouvertes après ce long et morne hiver. Et ça coule, ça renifle, ça chatouille, ça picote tous ces petits nez et ces grands yeux qui admirent l'oeuvre du printemps. Lui, il a attendu longtemps et s'est fait désirer, comme pour ménager ses effets, avant d'asséner un grand coup de pinceau sur la nature pour lui redonner sa couleur. Ce Pollock saisonnier ressort ses hordes d'allergènes qui entament de concert l'éternelle bataille rangée avec les mastocytes ennemis.

    Les médecins n'en ont cure, ils ressortent du fourreau leurs épées antihistaminiques et font rouler entre les cils les gouttes de collyres apaisants qui permettront à leurs patients de goûter enfin sans gêne aux plaisirs d'une météo redevenue clémente.

    Et de tondre, de sarcler, de planter, de désherber, de se planter une pioche dans le pied, de laisser un bout de doigts aux fourmis, de se raper le cuir contre un bitume inhospitalier lors d'une promenade en moto,  de jouer à la Belle au Bois dormant en se piquant ou se coupant au verre cassé d'une vaisselle urgente.

    Les médecins n'ent on cure, ils ressortent du tiroir la ficelle à rôti et leurs ustensiles de couture, attentifs à réaliser de la dentelle haut de gamme dont les patients garderont à vie un petit souvenir ému.

    Ah! Le printemps et ses joies!...


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