• Question cruciale

     

    Il me prend l'idée ce matin d'explorer un domaine mystérieux: le nouveau vendeur de mon poissonnier préféré est-il joueur? Réponse dans quelques lignes.

    J'accoste donc à son étalage comme d'habitude, et je découvre la bouille toute ronde et fort sympathique du jeunot qui s'escrime à dépecer les poissons comme si la survie de l'espèce humaine en dépendait, avec méthode, méticulosité et langue tirée sur le côté. J'inspecte le stock de marchandises à écailles et arrête mon choix sur un tourteau. Aucune logique, donc. Je m'enquiers de son taux de remplissage, et là, il se met à palpouiller tous les bestiaux un par un, soulevant le repli de l'abdomen des femelles. Il m'apprend donc que le crabe est sans doute plein quand les deux espèces de tétines qui apparaissent alors font protubérance. Et de titiller les deux petits orifices d'un air coquin.

    - Je vous mets celui-là, vous m'en direz des nouvelles! Et s'il n'est pas plein, vous pourrez me taper dessus la prochaine fois!

    Alors, joueur ou pas? Je passe en mode couguar et je contre-attaque.

    - D'accord, je vous prends au mot. S'il est vide, j'amène le fouet!

    - Heu là....! Non, je plaisantais...

    Pfff... C'est un peu court, jeune homme. Dégonflé, oui! Je regrette déjà la verve de son patron. J'espère que son crabe ne me réservera pas la même déception...


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  • Un frisson derrière les paupières

     

    Ouh ouh! Les émotions! Vous êtes là? Cela fait un moment que je vous attends, du haut de ma tour d'ivoire. Vous avez du mal à grimper, c'est ça? Les parois sont trop lisses et vos semelles dérapent, ou quoi? Du coup, me voilà sans vie, les paupières mi closes, les bras ballants, à espérer un peu de mouvement autour de moi, en moi. Je rêve d'une valse au corps à corps avec une explosion de joie, de caresses brûlantes d'un sauvage désir, de la pluie battante d'une tristesse immobile, du grondement sourd d'une noire colère. J'aimerais que s'anime le pantin de bois qui a enseveli mon coeur dans la sciure du renoncement. Un battement, un seul, pour me sentir exister enfin.

    Comment pourrais-je vous contacter autrement que par correspondance à travers les limbes du gouffre qui nous sépare? J'ai bien essayé le porte-voix, mais la brume a emporté la mienne. J'ai déroulé une corde pour vous aider à m'atteindre, mais elle s'est rompu sous votre poids. J'ai construit un escalier, mais il a perdu ses marches en chemin. Demain, je ferai une dernière tentative. Je déploierai mes ailes et me laisserai porter par le vent jusqu'à vous. Me laisserez-vous atterrir en douceur sur vos épaules? Ne soyez pas chiennes, offrez-moi le soutien de vos doutes et l'incertitude de vos errances. Aidez-moi à me sortir de moi-même, faites-moi renaître au grand jour!

    Peut-être trouverez-vous la place trop petite pour vous contenir toutes. J'en ai conscience. Qu'à cela ne tienne! Pour vous, je suis prête à déborder de reconnaissance, à suinter de bonheur, à gicler de haine, à m'évaporer de désespoir, à brumiser d'amour. Je vous prendrai toutes dans mes bras et je vous serrrerai fort, fort contre mon coeur, en faisant bien attention à ne pas vous étouffer une fois de plus. Une fois de trop...


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  • Le repos de la guerrière

     

    Elle ouvre une paupière encore ensablée de sommeil et contemple l'Apollon d'un soir allangui à ses côtés. Les draps posés sur eux frissonnent encore au souvenir de la terrible chevauchée  de la nuit. Elle soupire, son appétit de louve sauvage assouvi pour un moment.

    Elle s'étire et caresse d'un doigt léger la courbure affolante des pectoraux en acier ainsi offerts à son regard gourmand. Un soupir d'envie lui soulève la poitrine et finit sa course au creux de l'oreille de l'heureux élu. Il émet un grondement sourd dont les accents vibrants achèvent de la mettre en transe. Le signal d'alarme retentit dans sa tête, le besoin urgent d'une nouvelle danse d'accords à corps se fait ressentir. Elle se presse contre lui et enroule sa tendresse autour des bras musclés qui soudain la retiennent.

    - Pas maintenant, souffle-t-il, maintenant parfaitement éveillé.

    - Pourquoi? gémit-elle, affolée.

    - Je te rappelle que le plombier arrive dans vingt minutes.

    - Mais ça suffira! Allez... J'ai trop envie de recommencer, sois sympa!

    - Bon, une rapide, alors. Tu prends lesquels?

    - Les verts, mes préférés! Et toi, les rouges. C'est parti!

    Assis en tailleur face à face, envoyant valdinguer couette et oreillers à l'autre bout de la pièce, ils entament une mémorable partie éclair de petits chevaux ...

    Photo: Petits chevaux, grès chamoté, Catherine Clare, scupteur


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