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    J’aurais tant voulu pouvoir étendre mes longs bras au travers de la pièce, toucher le plafond si éclatant de blancheur et plonger autre chose que mon regard entre les lattes disjointes du plancher. Ce monde avait tellement à offrir à mes appétits voraces ! Ne le comprenaient-ils pas, mes geôliers, ceux qui sans sommation m’avaient acculé dans un coin de ce square avant d’abattre sur moi un filet électrifié qui me brûlait l’espoir jusqu’au fond de l’âme ? Ils m’avaient ballotté de ville en ville, comme un colis trop encombrant dont ils auraient aimé se délester au plus offrant, ou au moins délicat, plutôt. A n’importe qui, en fait. Je devais leur foutre une trouille d’enfer, avec mes dix bras télescopiques et mes trois yeux jaunes ! Mais que dire de leur dérisoire apparence, de cette fragilité de verre inhérente à leur anatomie débile ? Et pourtant, c’était ces êtres difformes qui avaient réussi le tour de force de me capturer, moi, L’Gkug le Sage, Grand Métamorpiste de la Noble F’Targl ! La Grande Kyu soit Louée ! Aucun F’Targlien digne de ce nom ne l’aurait cru...

     Je les voyais s’approcher en douce de ma cage de plexiglas renforcé, n’osant croiser mon regard hypnotique de peur de s’y perdre. Il faut dire que les premiers d’entre eux qui l’avaient fait n’en étaient toujours pas revenus. Et pour cause : j’avais réussi à capturer leur volonté d’un seul coup d’œil, ainsi que j’ai appris à le faire. Toutes leurs pensées étaient devenues miennes, et je comprenais désormais bien des choses qui m’avaient échappées lors de mon atterrissage forcé sur cette planète isolée. Par exemple, la raison qui les avait fait me fuir lorsque je leur avais envoyé un message de paix électronucléaire. Il faut dire que je n’avais encore aucune idée de la bonne longueur d’onde à employer, et que j’avais malencontreusement détruit une de leurs villes. J’avais bien tenté de m’excuser, mais cette fois, c’était l’avion qui n’avait pas résisté à mes sollicitations. Il était d’ailleurs tout à fait étonnant de remarquer combien ils semblaient tenir aux leurs.  La raison m’en échappa jusqu’à ce que je capte dans un des esprits qu’ils n’étaient pas dotés comme nous de la capacité d’auto-régénération à partir de n’importe laquelle de leurs cellules. Cela m’étonna au point qu’on peut imaginer.

     Je fis dès lors preuve de la plus extrême attention quand j’essayai de rentrer en rapport avec eux, mais ils ne semblaient pas non plus capables d’entendre mes gesticulations neurales : je me trouvais prisonnier d’un monde autiste ! Comme mes trois yeux ouverts leur aspiraient l’esprit, je tentai de n’en ouvrir que deux, puis un. Hélas, à chacun de mes essais, l’être en face de moi en pâtissait plus ou moins sévèrement, au point de devenir inutilisable. J’étais désespéré ! Ils apprirent à ne plus me fixer dans les yeux, et m’enfermèrent dans cette cage isolante, me rabaissant au rôle de curiosité exotique. Ils s’aperçurent qu’il était possible de regarder sans risque mon reflet dans un miroir, et ce fut le défilé. Des adultes, mais aussi des enfants vinrent se repaître tout leur saoul de mon corps déchu. Je devins l’objet de la risée de tous, la bête de foire, à la fois femme à barbe et monstre du Loch Ness, selon leurs critères.

     

    Et puis un jour, elle est entrée dans la pièce et m’a regardé droit dans les yeux. J’ai tressailli, car je n’ai alors rien ressenti de spécial : son esprit était toujours dissocié du mien, entité autonome sur laquelle je n’avais aucune emprise. J’ai ouvert deux, puis trois yeux : toujours rien. Nous nous sommes mangés du regard un bon moment, nous repaissant l’un de l’autre d’une manière insatiable. Elle fit le tour de la cage lentement, la frôlant au passage de son corps étrange. Je sentis alors un petit quelque chose, une vague caresse qui émanait des parois de plexiglas. J’y posai alors un tentacule avec prudence et y sentis comme une petite décharge électrique. Je décidai alors d’oser y appuyer tous mes membres en même temps et fus immédiatement projeté à l’extérieur de la cage...

     Je suis maintenant libre et heureux, je peux me promener sans danger au milieu des humains que j’ai tant fait souffrir au début. Je vis même chez un d’entre eux, une charmante vieille dame qui me caresse le dos sans crainte de perdre la raison. Elle me raconte sa vie, et je l’écoute en ronronnant. Et même si je ne suis qu’une vieille chatte sourde et aveugle, j’entends tout ce qu’elle me dit...

      

    Ce petit texte a été écrit récemment pour un concours amical dont le thème était "enfermé dans la cage". Le but n'était pas de gagner, je sais que le chemin est long pour arriver là, mais juste de se faire plaisir et d'écrire sous une contrainte, exercice auquel je ne suis pas encore très "rodée"!

    Photo tirée d'ici: http://homeklondike.com/tag/wall-decor/ 


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    Rencontre du deuxième type

     

    Je lui ai tendu le livre, lui ai conseillé de lire un passage qui me plaisait bien. Il s'agissait d'un court texte célébrant l'ivresse des sens, juste ce qu'il faut pour ne pas sombrer dans le graveleux. Il a effleuré les mots d'un regard caressant, puis a tourné la page pour lire un autre extrait. Puis un autre. Toujours dans le même chapitre. A chaque nouvelle phrase, il pointait du doigt les mots qui faisaient mouche dans son esprit. Enfin, c'est ce que je croyais. Jusqu'à ce qu'il se tourne vers moi, très près, trop près.

    - Tu sais, tes mots résonnent en moi à un point, c'est... affolant. C'est si sensuel, cela dégage une... sexualité animale qui me plaît. Oui, c'est ça. Tout en toi m'appelle au-delà des mots, des expressions, cette façon si personnelle que tu as de tourner la langue française comme ça... C'est... érectogène!

    - Ah bon? A ce point?

    - Tu n'imagines pas! J'ai l'impression qu'on s'est trouvés, toi et moi, qu'on se connaît depuis toujours. Je vais te le prendre, ton bouquin, et je peux déjà te dire dans quelle disposition d'esprit je le lirai... Ce sera mon jardin secret. Tu peux me faire une dédicace spéciale? Personnalisée?

    - Si tu veux. Heu... Merci?

    Laconisme de rigueur. Au feu les pompiers, j'ai la paillotte qui brûle, où est donc ce foutu bon Dieu d'extincteur? Une phrase m'est venue en tête à ce moment: "je sentis les doigts poisseux de sa concupiscence m'agripper et tenter de déchirer l'armure de ma vertu"...

    Même que ça pourrait faire un bon début de quelque chose. Mais plus tard, peut-être.


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    Identité

     

    J'avais envie de changer de nom. Juste comme ça. Une petite fantaisie passagère, histoire de faire peau neuve. Me voilà donc Celeen, hôte de ces lieux, yeah! C'est si facile de se glisser incognito dans la peau d'un avatar, si confortable, enveloppant, presque sensuel. On peut lâcher des mots et du lest, se débarrasser du carcan d'un quotidien sans queue ni tête, méli-mélo de banalités si lourdes, de sursauts d'énergie salutaires et de multiples "j'me-morfonds" sans intérêt. Non, vraiment aucun.

    Alors qu'ici... J'aime me lover entre les lignes, sinuer entre les mots, entortiller les idées. Elles roulent sous mes doigts comme autant de cheveux. Aussi fines que des fils d'araignée. Mais beaucoup moins collantes, plus volatiles, parfois volages, sitôt envolées. Voilà, elles sont parties, happées par l'éther...

    Demain, j'escapaderai dans un salon du livre, pas loin. Nous nous croiserons peut-être, qui sait? J'y ferai certainement de belles rencontres, comme d'habitude. Rires et sourires y auront la part belle autour d'échanges toujours conviviaux. Nous y parlerons de tout, de rien et surtout du reste. Un peu des livres, aussi. L'endroit y est consacré, tout de même. Je rentrerai des étoiles dans les yeux, et l'envie d'y revenir encore et encore pour m'échapper un peu plus loin. Et pourtant, comme à chaque fois, j'aurai dans le coeur un petit pincement de regret... Et celui-là, je le garde pour moi. Pour l'instant.


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    Nantes est une belle ville, où il fait bon vivre, paraît-il. Il y règne une politique d'expansion immobilière assez active, et on voit se dresser de plus en plus d'immeubles au design audacieux, ce qui peut vouloir dire à peu près n'importe quoi: novateur ou écolo, abominable ou déjà moche, selon l'humeur du jour. J'avoue avoir un peu de mal à comprendre l'intérêt par exemple de fermer des balcons avec des plaques coulissantes en plexiglas, mais c'est du concept architectural, donc on se tait, s'il vous plaît. Cela n'engage que mon sens de l'esthétisme...

    Et puis...

    Et puis il y a surtout les "avant". Quand le promoteur immobilier vient marquer de son sceau les maisons qui vont être démolies. De grands panneaux d'affichage déboulent un beau matin, dévoilant en images de synthèse la merveille qui bientôt étendra ses bras vers le firmament. C'est propre, lumineux, et il y a un numéro de téléphone pour les investisseurs. Je dois donc me faire à l'idée que la belle maison bourgeoise au toit pointu du coin de la rue, ou encore la vieille bâtisse où vivent encore quelques anachroniques poules et un coq matinal, vivent leurs derniers jours. Les rideaux disparaissent des fenêtres, des tags apparaissent sur les volets,  dernier baroud d'honneur qui met de la couleur où la poussière règnera bientôt en maître...

    Les machines arrivent alors. Elles commencent à arracher des bouts de toiture, défoncent le mur où Pierre et Jeanne notaient scrupuleusement la taille de leurs enfants avec un petit trait au crayon de bois, mois après mois, année après année. Brusque cassure dans les courbes de croissance... La fissure s'élargit, et la machine prend en grippe un lavabo, fracasse le siphon d'où s'échappe l'anneau d'argent, depuis longtemps disparu, que Paul avait offert à Marie pour leurs fiançailles, et qu'on n'avait jamais pensé à chercher là. La chambre de Jules, dont les murs constellés de trous de punaises se retrouvent morcelés et jetés à bas, qui s'en souciera? Pourtant, il en avait mis, des posters d'avions et de voitures, jusqu'à faire disparaître la tapisserie vieillotte, avant de changer d'idoles et de révérer les chanteurs du moment...

    Tous ces moments de vie disparaissent sous les coups des pelleteuses, qui escaladent ensuite sans vergogne les tas de gravats informes pour s'approcher un peu plus de leur cible suivante. Ce matin, trois maisons anciennes sont tombées, quelque part à Nantes, et comme d'habitude, j'ai eu ce petit pincement au coeur, cette humidité fugace dans le regard. C'est con, de rendre hommage à un bâtiment, non? Pourtant, je le fais aujourd'hui...


     

    Champignonite aiguë

    Photo: chantier de démolition de la chocolaterie Weiss, St Etienne



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    Migration

      

    Voilà, c'est le printemps! Un subit besoin de renouveau, et surtout,une méchante envie d'envoyer paître la plateforme précédente et ses mille-feuilles publicitaires intempestifs.

    Med'celine restera aussi en ligne ailleurs, bien sûr, bien que je l'aie quelque peu passée au régime. Voeu pieux... Si parfois le virtuel faisait ami-ami avec la réalité, ça m'arrangerait bien... Bref, ce nouvel espace me redonnera peut-être le goût de renouer avec l'écriture et le partage. Merci à ceux qui auront la gentillesse de porter leurs pas de ce côté! Et merci aussi de me faire part de vos critiques sur la forme du lieu, dont je ne maîtrise pas encore toutes les subtilités...


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